Dans le fief ouvrier de l’ancien président, les électeurs écœurés par la corruption côtoient les irréductibles du Parti des travailleurs qui croient encore en Luiz Inacio Lula da Silva pour revenir au pouvoir en 2018. Divisé par les scandales politiques, épuisé par la crise économique, le pays est au bord du chaos.
La ruelle, arborée et discrète, contraste avec un enchevêtrement de voies rapides sans fin, de zones commerciales envahies de panneaux publicitaires et de rangées d’immeubles gris. Au bout de la rue, le Parti des travailleurs (PT) de São Bernardo do Campo jouxte le musée des Travailleurs, dont le chantier de construction a été abandonné faute de financement. Tout un symbole. Autour d’un café, deux militants se prennent dans les bras. « C’est dur… » Sandra Regina Molinari, 40 ans, cuisinière sans emploi, métisse, est venue saluer ses camarades avant un entretien d’embauche.
Chaque jour déverse son lot de révélations embarrassantes pour Luiz Inácio Lula da Silva et pour la présidente, Dilma Rousseff, soupçonnés d’avoir bénéficié d’un vaste système de corruption via l’entreprise pétrolière nationale Petrobras. Sandra se rassure comme elle peut. « Lula a commencé en bas, ici, comme nous, répète-t-elle. Il est à la racine de tout. C’est un coup d’État contre le gouvernement, contre lui… De toute façon, au Brésil, tous les partis politiques sont corrompus! »
« Voleurs, bandits! »
C’est effectivement ici, dans la « ceinture rouge » sud de São Paulo – l’État fédéré le plus riche du pays, épicentre des manifestations contre le gouvernement – que le PT est né, il y a trente-six ans, après les grandes grèves des ouvriers de la métallurgie. Ici que l’icône Lula a mené ses premiers combats de syndicaliste – l’ex-président, au pouvoir entre 2003 et 2010, y habite toujours. Est-ce ici que tout pourrait finir? Jadis berceau de l’industrie automobile, la ville porte aujourd’hui les stigmates d’un Brésil en souffrance politique et économique, qui se compare tantôt à une Argentine en faillite, tantôt à un Venezuela en insurrection civile. « Les gens sont en colère contre le PT », admet Sandra. Comme pour lui donner raison, un homme vocifère sur le trottoir : « Voleurs, bandits! »
À l’usine Volkswagen voisine, dite « la Volks », où Lula a commencé comme ouvrier métallurgique, Rodrigo de Sales, 37 ans, vit depuis cinq mois sous le coup d’un « programme de protection de l’emploi » instauré par le gouvernement Rousseff en 2014 : une réduction de sa journée de travail (20%) et de son salaire (10%), comme les 12.000 autres employés de l’usine. « Le PT est devenu comme les autres, même pire, raille-t-il. Tous les partis devraient s’allier pour faire face à la crise et nous aider. Mais cela n’arrivera pas. » Employé depuis quatorze ans au montage final pour 5.000 réaux mensuels (1.200 euros), Rodrigo se demande où est passé le Brésil, ancienne figure de proue des pays émergents, sous le coup d’une récession de 3,8% en 2015 et d’un taux de chômage de 8,2%, alors qu’il était promis à un grand avenir. « Que nous est-il arrivé? »
« Nous vivons une division de classes »
Le métallurgiste n’arrive pas non plus à digérer le grand déballage organisé en direct à la télévision, depuis des semaines, avec l’opération « Lava Jato » ou « nettoyage express » : la délation des députés fautifs en échange de remises de peine, les démentis outrés qui s’ensuivent, la nomination de Lula comme chef de cabinet du gouvernement (l’équivalent d’un poste de Premier ministre), puis sa suspension par référé dans la foulée.
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Les écoutes judiciaires qui fuitent opportunément, comme cette conversation accablante entre Dilma Rousseff et son mentor, suggérant qu’une entrée au gouvernement lui épargnerait la prison… Sans oublier la compagnie nationale Petrobras, justement à l’origine du scandale, qui supprime 12.000 emplois dans l’indifférence. « Lula ne va pas être un simple ministre, il va faire la politique que l’on n’a pas pu faire jusqu’à maintenant, notamment au niveau économique, plaide Brás Marinho, président de la section PT de São Bernardo. Nous n’avons pas d’autre candidat pour les prochaines élections. J’espère que Dilma sera heureuse, mais le plus loin possible de nous… » Pas de quoi convaincre Rodrigo, qui en est certain : en 2018, sa voix, jusqu’ici réservée au PT, ira à l’opposition.